Le 14 décembre 2022 dernier se tenait à l’Afromusée de Montréal le lancement du projet collaboratif « Nuits de Montréal ».
Ce fut l’occasion, à travers des échanges inédits, de présenter notre carte interactive et son site web associé faisant tous deux état de la vie nocturne et culture noire à Montréal des années 1950 aux années 1980.
Nos invités d’honneurs, les artistes Pierre Perpall et Skipper Dean, nous ont permis de revisiter ces années au gré de leurs souvenirs et anecdotes.

Cette collaboration autour d’un projet de carte interactive reflétant une facette importante de l’histoire des populations afrodescendantes de Montréal débute lorsque la direction d’ARCMTL et celle de l’Afromusée réalisent qu’ils avaient lancé chacun de leur côté des projets de carte interactive en 2021 et en 2022 respectivement. Les deux organismes décident alors de collaborer sur une seule carte qui pourrait s’étendre au fil du temps pour inclure un nombre croissant de lieux importants dans l’histoire du développement des arts et de la culture des diverses communautés afrodescendantes.
Ce nouveau projet ainsi que son lancement le 14 décembre 2022 ont été rendus possibles en partie grâce au soutien financier du programme Patrimoines montréalais de la Ville de Montréal.
Ce qui suit est une transcription éditée de la discussion qui a eu lieu lors de l’événement de lancement.
Présentation des participants
La discussion fut animée par Virginie Belony, historienne de formation et chercheuse à ARCMTL.
Louis Rastelli
Louis Rastelli est directeur d’ARCMTL depuis maintenant dix ans, un organisme à but non lucratif fondé en 1998 pour promouvoir le milieu artistique ainsi que le documenter et préserver. Montréalais de naissance, il présente des trésors musicaux issus des archives d’ARCMTL à l’émission hebdomadaire Montreal Sound Ark sur CKUT Radio McGill, 90.3 FM.
Guy Mushagalusa
Guy Mushagalusa Chigoho est directeur général et fondateur de l’Afromusée. Il est un galeriste et un collectionneur passionné d’art africain. En 2014, il crée Espace Mushagalusa, une galerie d’art et un lieu ouvert sur la diversité. Depuis, il a réalisé plus de 75 projets d’expositions, de spectacles, de soirées littéraires, de conférences et d’ateliers thématiques.
Pierre Perpall
Né à Montréal d’un couple mixte, Pierre Perpall connaît une carrière artistique qui s’étend sur plus de cinq décennies. De ces nombreux succès solos, on notera au passage « Ma Lili Hello » sortie en 1966. Chanteur et danser, dans les années 1970, il fait de longues tournées aux États-Unis où il monte sur scène avec tous les grands noms de la musique. De retour au Québec, il connaît un succès important avec son titre « We Can Make it » en 1984 et assiste à la montée puis la perte en popularité du disco dans la cité.
Pierre Perpall est reconnu comme le « premier artiste de couleur à avoir été consacré vedette au Québec » et il n’a jamais arrêté de se produire pour le grand public qui l’adore.
Discussion
Virginie Belony : Pourquoi est-ce que cette collaboration entre les deux centres […] est importante?
Louis Rastelli: Justement, quand la pandémie a commencé en 2020, on avait longtemps parlé de mettre en ligne une sorte de carte interactive des lieux culturels du passé de Montréal. De mon implication avec ARCMTL, depuis vingt ans, on a accumulé beaucoup, beaucoup d’archives au sujet des boîtes de nuit, les salles de spectacles, des galeries d’art. Souvent dans une ville dynamique comme ici, on peut perdre la trace de ces places-là. Parfois, ils ouvrent, ils ferment– ils sont très populaires, importants pour quelques années — après ils disparaissent. Donc, on a eu l’idée, en documentant le milieu culturel, de commencer à voir ça par le biais des places et des lieux importants et de la commencer à parler au monde pour avoir des témoignages, des souvenirs des musiciens, des gens qui ont été impliqués à gérer ces lieux-là, des gens qui faisaient la promotion des concerts avant l’internet, etc.
Le monde entier fonctionnait différemment dans les années 1960, 1970 et 1980. Nous avons donc eu la chance d’obtenir des fonds pour lancer un projet d’interviews, de recherche de lieux, de photos, de documents, de dépliants et d’annonces. Nous sommes très heureux d’avoir trouvé Guy au début de cette année ! On a découvert sur le site web de l’Afromusée un projet semblable au nôtre pour afficher des lieux importants du passé du présent.
Guy Mushagalusa: Merci beaucoup, Virginie, merci beaucoup Louis. Donc je suis le directeur ici de l’Afromusée. L’Afromusée, c’est un musée, je dirais, pas comme les autres, c’est un musée de société.
C’est-à-dire un musée qui est axé sur l’expérience humaine. C’est un musée qui est basé aussi sur les relations humaines et les relations par rapport à l’identité collective. Et cette identité ne peut pas être complète si une partie de cette communauté et soit ignorées, marginalisées ou tout simplement mise de côté.
Est-ce qu’on avait remarqué, disons au niveau de l’identité collective, c’est que les communautés d’ascendance africaine, donc la communauté noire, étaient très très très marginalisées, pour ne pas dire invisibles et inexistantes, au niveau de l’identité collective. Même quand on était à l’étranger quand vous entendez parler d’un Canadien ou d’un Québécois, on passe tout de suite à une personne blanche alors que l’identité québécoise ou canadienne et encore plus montréalaise, ce n’est pas ça exactement. Donc ici on n’est pas vraiment dans la revendication, mais on est plutôt dans l’éducation. Et on avait vraiment une idée géniale de faire cette carte où on allait montrer comment les personnes d’ascendance africaine ont occupé le territoire à travers l’histoire.
On pensait que c’était une idée révolutionnaire jusqu’à ce que je rencontre Louis qui avait exactement la même idée en fait, lui et son équipe. On s’est dit : mais qu’est-ce qu’on fait maintenant pour mettre en commun nos ressources? Qu’est-ce qu’on fait pour être en commun, nos intelligences? Qu’est-ce qu’on fait pour mettre en commun, nos réseaux? Et c’est dans cette réflexion-là, qu’on est aujourd’hui. On s’est dit cette carte qui va représenter les lieux.
Mais les lieux, c’est en fait c’est une clé pour entrer dans les histoires; les grandes histoires comme les petites histoires. Le but, c’est de montrer comment est-ce que ces communautés-là font partie intégrante de cette identité collective de Montréal, du Québec et du Canada. Mais aussi comment est-ce qu’ils ont occupé le territoire, Comment est-ce qu’ils ont apporté quelque chose à ce que nous sommes aujourd’hui. Et des exemples, il y en a beaucoup. J’ai dit qu’il y a de petits exemples entre guillemets, mais aussi de grands exemples, des exemples significatifs comme Pierre Perpall qui est ici. Des gens qui ont occupé les territoires, mais qui ont marqué aussi l’imagination, qui ont fait rêver les gens qui ont fait chanter des gens, qui ont fait danser des gens et donc tout ça, est lié à cette histoire.

Louis Rastelli: En parlant de ça, L’Afromusée, je crois, mérite sa place sur cette carte-là. L’Afromusée, je pense, fait partie de cette longue tradition de mettre le temps et la sueur et le travail pour créer une place et une place que déjà à peine un an que vous êtes ouverts ici, le nombre d’expositions d’artistes, musiciens et autres organismes communautaires qui ont pu profiter de ce lieu, c’est très important … Et quand on commence à ajouter des histoires et explorer les histoires derrière ces lieux, on va toujours considérer ces gens-là qui n’ont peut-être pas été des pop stars, des rocks stars mais qui ont vraiment, vraiment mis le travail si important pour nous fournir ces lieux-là, pour que notre culture et toutes les cultures de la ville puissent se faire connaître et s’entre-connaître aussi. Donc, je félicite ton effort (Guy Mushagalusa Chigoho) de faire partie activement de cette tradition de fournir des lieux à Montréal et longue vie à l’Afromusée!
Virginie Belony: Maintenant, nous allons discuter avec Pierre Perpall. Pouvez-vous nous expliquer comment est-ce qu’un jeune issu de l’union d’une Québécoise (si je ne me trompe pas votre mère [est Québécoise]), et d’un noir américain, votre père… Comment vous êtes-vous intéressé à la musique?
Pierre Perpall: L’explication c’est que mon père était un sideman, saxophoniste qu’on appelait à l’époque sideman dans un big band. Il travaillait aux États-Unis avec le Big Band de Duke Ellington. Après ça, il est avec le big band de Lionel Hampton. Il est arrivé à Montréal dans les années 1944-1945 et a décidé d’arrêter de voyager, et a rencontré ma mère seulement parce qu’il travaillait au El Morocco avec un band qui était là, et puis il décide d’arrêter de faire de la musique pour ne plus voyager.
Ma mère l’avait vue jouer du saxophone là et qu’ils ont commencé une union tranquillement. C’est sûr que mon père à cause qui était dans la musique, il me parlait des endroits à Montréal à cette époque-là : le Esquire Show Bar, le Rockhead’s Paradise, justement là où mon ami Skipper Dean chantait.
Le Harlem Paradise, il y avait aussi le Black Bottom. Alors, il m’a initié tranquillement aux cabarets vers l’âge de treize, quatorze, quinze ans. Même s’il faisait plus de musique, il avait toujours la musique dans le sang. Et c’est là que je m’apercevais que ces endroits-là, à la télévision, dans les journaux, on n’entendait pas parler d’eux… À la télévision, on ne voyait pas cela. À la radio, on jouait peu de musique noire et aussi dans les journaux, on n’en entendait pas parler des noirs à moins qu’il était question d’un scandale!
On voyait des groupes mixtes, des artistes noirs chanter avec un orchestre de blancs alors du coup, des groupes interraciaux ont ouvert la porte tranquillement. C’est sûr que le Esquire Show Bar est un gros tremplin.
Le Rockhead’s Paradise et le Harlem Paradise ont ouvert la porte à l’idée de mixer les nationalités, si on veut, autant musicalement que mentalement. C’est qu’il y a commencé à avoir beaucoup de […] groupes interraciaux. Il n’y en avait pas beaucoup à ce moment-là. Mon père était justement noir et ma mère était blanche. À cette époque, ce n’était pas aussi ouvert aujourd’hui. [Il faut dire qu’] il y a eu beaucoup de chanteurs noirs qui se sont mariés avec des blanches. Et aussi des chanteuses noires qui mariaient des blancs. La porte s’est ouverte tranquillement, tranquillement. C’est sûr qu’aujourd’hui c’est plaisant de voir que la porte est vraiment, vraiment ouverte comparativement à avant.
Ça a fait l’éclosion musicale qu’on connaît aujourd’hui, parce que, en écoutant la musique d’aujourd’hui, on voit tellement la diversité musicale qui a été influencée par la musique noire du temps…
…À l’époque, ce qui nous aidait c’est qu’il n’y avait pas autant de postes et de stations de télévision ni d’internet. Alors, les gens sortaient six jours par semaine. Il y avait tellement de cabarets à Montréal que ça donnait une chance aux gens de pouvoir se promener et d’accepter, par le lien de la musique, de se réunir ensemble. C’est tout ça qui s’est fait tranquillement de fil en aiguille avec le temps.
Virginie Belony: C’est bien parce qu’en plus vous avez touché à différents lieux qu’on a déjà sur notre carte ou qu’on compte ajouter à notre carte. Et c’est pour ça que vous êtes un exemple patrimoine vivant de toute cette évolution musicale, mais aussi au niveau de qu’est-ce que c’est la réalité d’être noir à Montréal, une personne métisse, en tout cas. Mais je voulais – juste histoire de nous situer un peu dans le temps – [pouvez-vous] nous parlez un petit peu de comment est-ce qu’il y avait cette musique noire entre guillemets, et cette musique traditionnelle des Blancs. Situez-nous un peu dans le temps à Montréal.
Pierre Perpall: … Je me souviens qu’à l’époque, en 1956, Little Richard avait fait beaucoup de succès sur disque. Pat Boone refaisait comme blanc [des morceaux] comme Tutti Frutti ces chansons-là qui ont eu de gros succès parce que des radios blanches aux États-Unis ne jouaient pas Little Richard, c’est les stations de radio noire que jouait Little Richard…
Mais c’est toute une évolution qui s’est faite tranquillement de faire accepter au Québec.
C’est sûr que si tu es au Québec et que tu veux passer, faut que tu t’adaptes au Québec, donc si tu es noir et tu chantes en anglais… t’es au Québec : faut que tu chantes en français! Mon gérant m’a fait comprendre ça [assez tôt]. Va dans le moule, adapte-toi. J’ai commencé à faire des versions françaises de mes chansons pour pouvoir passer à la télévision québécoise.
Parce que, pour un noir, pour passer à la télé québécoise, tu devais être une star internationale. Si t’étais Ray Charles, Oscar Peterson, tu passais. Mais si t’étais pas connu et tu étais noir au Québec [et tu chantais] en anglais, oublie ça! Tu ne passais pas! Donc, j’ai fait un disque en français, puis j’ai commencé à cogner aux portes, puis à un moment donné, j’ai suis passé à une émission de télé puis ça-a ouvert la porte. Il y a eu d’autres Noirs qui ont pu chanter en français au Québec et qui nous ont donné une place. Donc, je sais que j’ai été une influence pour d’autres chanteurs qui sont arrivés après comme Boule Noire est arrivé après, Georges Thurston, Normand Brathwaite, qui est arrivé l’année après la télévision qui est encore à là aujourd’hui. Mais le secret [c’est] qu’ils se sont adaptés et sont devenus québécois. On est au Québec, tu vis dans le Québec, tu t’adaptes à l’idée d’être québécois […] Puis ils ont pu pratiquer leur art en français tout au long de leur carrière…

Je suis encore surpris. J’ai réussi à vivre 60 ans de mon métier. Mais je crois que le secret c’est que je me suis adapté et que j’ai continué d’être respectueux vis-à-vis mon public. J’ai continué pendant toutes ces années-là à leur donner ce qu’ils voulaient aussi bien en anglais qu’en français. Donc, quand je fais des spectacles, je peux les faire 50% en français et 50% en anglais sans aucun problème.
Mais si je passe à la télévision québécoise, il faut être respectueux et chanter en français…
Virginie Belony: Si je comprends bien, ça veut dire que s’il y avait des barrières qui étaient établit autour d’un artiste comme vous, qui était un métis (mais vu ici [au Québec ]comme étant noir), ces barrières étaient peut-être [mises en place par] personnes de l’industrie de la musique, mais pas tant que ça du public qui lui était beaucoup plus ouvert?
Pierre Perpall: Le public avait aucun problème; c’est l’industrie, les médias! Ça s’est fait tranquillement [au point] qu’aujourd’hui je vois qu’il y a plein de diversité à la télévision. Mais à l’époque, c’était l’industrie. C »était correct [d’être noir], mais [il fallait tenir sa] place, tandis qu’aujourd’hui, c’est très—moi, je parle des années soixante là. Moi, dans mon feeling, parce que je suis dans le domaine de la musique depuis les 1960, je crois que la barrière est vraiment, vraiment, vraiment brisée. [Quand on parle de baise de] racisme [on peut dire] que la porte s’est ouverte [avec] le film Woodstock (1970). Parce que Woodstock, c’était « peace and love. » C’était la nouvelle génération de 15, 16, 18 ans. Ils ne voulaient pas être comme leurs parents racistes, c’était « peace and love, » noir, blanc, on ne veut pas de guerre. Donc, ça, ouvert la porte à la nouvelle génération de jeunes qui avaient 15, 16, 17 ans qui, aujourd’hui, on peut être 50, 60, 70 ans qui sont les parents de nos enfants qui ont été élevés avec moins de racisme.
Il faut s’aimer et s’aider pour avoir un meilleur monde. Donc, c’est sûr qu’avant 1960, quand Sammy Davis Jr s’est marié avec une blanche aux États-Unis, c’était pas un cadeau. … Mais Woodstock, pour moi, c’est ça qui a vraiment ouvert la porte, parce que je l’ai senti moi-même. Après Woodstock, [si] je me promenais avec une blanche dans la rue, j’avais moins de problèmes qu’avant. Parce qu’avant, quand je me promenais avec une blanche dans la rue, j’entendais des murmures comme : « c’est-tu de valeur, cette fille-là sort avec le noir. » Ailles! Je me suis fait dire ça deux, trois fois, j’entendais ça. Ça fait mal se faire dire ça quand t’as 14, 15, 16 ans. Je rentrais dans un restaurant puis j’entendais « c’est de valeur, cette fille-là sort avec un noir. » Ça fait mal. Aujourd’hui, tu entends plus ça, mais à cette époque-là, c’était comme ça. C’est la vie!
Virginie Belony: Vous le preniez de manière très positive, vous avez un regard très historique sur la chose, sur ces évolutions-là. J’aimerais revenir rapidement sur quelques lieux qui ont été importants pour vous lorsque vous étiez au tout début de votre carrière, jeune [voir même] avant de commencer une carrière puis dans ses débuts.
Donc on a parlé tantôt du Esquire Show Bar, mais il y a aussi d’autres lieux qui ont été importants. Est-ce que vous pouvez nous parler un peu de l’atmosphère, à Montréal à cette époque-là, autour de ces endroits-là.
Pierre Perpall: La première place ou je suis allé – j’étais trop jeune pour le Esquire Show Bar – dans les années 1965-1966, mais il y avait une place à Montréal qui s’appelait le 217 qui était une salle de danse pour les jeunes de treize à dix-huit puis au 217, il y avait les mêmes artistes qui allaient au Rockhead’s au Harlem ou au Esquire Show Bar qui faisait des spectacles là. Donc, moi, j’allais danser l’âge de 13-14 ans. C’est là, j’ai réalisé qu’il y avait des Noirs, des Blancs, des Chinois, toutes les races de jeunes, puis ça dansait son ensemble. Il y avait un artiste noir qui était sur la scène, mais c’étaient des artistes de Motown, avant qu’ils soient connus. Je me souviens que j’avais été voir un spectacle, c’était Stevie Wonder sur l’harmonica avant qu’il soit connu.
Je n’ai pas tenu compte de ça jusqu’à tant que trois ou quatre ans après [je me suis dit] « ayes, c’est lui que j’ai vu là! » Une semaine, j’avais vu Mary Wells pareille, la chanteuse qui a fait « My guy. » L’année après, elle avait fait « My guy. » C’était comme un Chitlin’ Circuit. …
Faque, c’est pour ça que des fois on allait Harlem Paradise. Il y avait un bon orchestre pas connu, mais c’était des bons groupes de groupe qu’on voyait partout puis ça attirer justement toute une diversité de publics qui pouvaient aller les voir chanter, que ce soit des Noirs, des Blancs, des Chinois, faque ça a vraiment ouvert la porte. Mais c’était bin, bin, pour un jeune…quand j’ai commencé à aller au Rockheads pour voir les orchestres là, j’étais tellement surpris de voir toutes les nationalités dans la salle du public se mixer et pas de problème racial. Puis, quand [on] voyait la télévision, c’était le contraire. Tu voyais les choses qui se passaient aux États-Unis et qui ne se passaient pas ici. Ici, il n’y avait pas de racisme direct, mais il fallait que tu « tiennes ta place. » C’est pas qu’il y avait un [type de racisme ou l’on te] faisait [pas] mal, mais, je t’avais pas la promotion pour le job aussi vite que le blanc. Le blanc avait est une promotion après deux ans, le noir il n’y avait pas de promotion, il restait là. Faque, c’était pas comme du racisme direct, mais c’est comme : « tiens ta place. »

PARTIE II
Virginie Belony: Ça me fait penser : vous, vous êtes bilingue. Comment était-ce à ce niveau-là dans ces différents endroits [que vous avez fréquentés] au regard de la langue? Est-ce qu’il y avait des endroits qui étaient plus marqués par un [type de] population au niveau de la clientèle qui était plus francophone, et d’autres endroits où c’était plus anglophone?
Ou est-ce que, de la même façon qu’il y avait un beau mix au niveau des ethnicités, il y avait un mix aussi au niveau des appartenances linguistiques? Où est ce que ce n’était pas du tout un enjeu?
Pierre Perpall: Non, c’était pas un enjeu. J’avais été à l’école en anglais pendant deux ans, dans un quartier anglophone. Après ça, j’ai été à l’école francophone. De manière générale, dans ma vie, j’ai pas eu de problème de ce côté-là. Ça pouvait arriver de temps en temps que quelqu’un te dise « parle le français » ou « parle anglais, », mais ça, ça arrive toujours. Ce n’était pas flagrant, surtout avec les jeunes parce que les jeunes, on était plus ouvert d’esprit que nos parents qui avaient encore des préjugés. Donc, je n’ai pas eu de problème à ce niveau-là.
Virginie Belony: […] Donc, pendant les années 1970, vous allez faire plusieurs tournées aux États-Unis. Vous allez monter sur scène avec beaucoup de grands noms de cette époque-là. Est-ce que vous voudriez nous en parler?
Pierre Perpall: Okay! Ce qui est arrivé c’est que : comme tout artiste, on a un succès sur disque. Puis, après trois, quatre ans, ça s’estompe. C’est sûr que moi j’ai commencé à chanter, à l’époque yéyé, gogo et R&B. À un moment donné, dans les années 1970, le R&B et le yéyé, comme on l’appelait à l’époque, a pris une débarque. À ce moment-là, moi j’ai commencé à faire de la musique dans des cabarets sans faire de spectacles comme musicien. Et un moment donné, je suis parti aux États-Unis. Aux États-Unis, la porte était la plus ouverte. J’ai commencé à travailler en Floride, après ça, j’étais à Boston [et] à New York. Je voyais qu’il y avait de l’ouvrage! Mais [au final] c’était plus dur parce qu’il a tellement d’orchestres aux États-Unis que les cachets n’étaient pas pareils. Mais j’ai appris beaucoup d’expérience.

La manière dont les Américains travaillaient [m’a permis] d’être [à la fois] musicien, guitariste, pianiste; j’ai appris à composer et par chance, dans les années 1976, le disco est arrivé à Montréal et c’est là que les compagnies de disques m’ont rappelé. Ça a donné un autre coup à ma carrière du côté de la dance et la musique disco. Ça a duré jusqu’à 1985. Donc, il y avait le mauvais et le bon côté : [ma] carrière, elle baisse dans les 1970, mais au lieu d’arrêter, j’ai commencé à voyager. C’est là que j’ai découvert qu’un musicien qui dit qu’il ne fait pas d’argent, qui ne [peut pas trouver] du travail, ça n’existe pas.
Si t’acceptes de voyager, il y a de l’ouvrage partout. Moi, j’ai compris que même s’il les cachets n’étaient pas gros, tu pouvais travailler partout dans le monde si tu acceptais de voyager. Donc, [cette attitude] m’a ouvert des portes aux États-Unis […]. J’ai été maître de cérémonie au Newport. Le Newport c’est un cabaret, qui avait un artiste par semaine. Donc, une semaine il y avait B. B. King, une autre c’était R. B. Greaves, une autre [encore], il y avait the Temptations, Little Richards [etc.] J’ai eu la chance d’être maître de cérémonie avec mon orchestre qui présentait l’artiste invité toutes les semaines, donc, encore là c’était un gros bagage d’expérience pour moi. [J’ai] appris à travailler avec tous ces gros noms-là. C’est un bagage que je ne regrette pas d’avoir!
Virginie Belony: Maintenant, parlez-nous un peu de ce retour. Vous avez parlé [brièvement] du disco. Comment c’était les années disco finalement ici à Montréal?
Pierre Perpall: Les années disco, c’était un peu comme les années go-go, yéyé, les années 1960. Toutes les compagnies de disques signaient tous les artistes, tous les artistes, tous les artistes! On faisait des disques. Louis [Rastelli] peut te parler de cette époque-là! Tout le monde faisait du disco. Moi, ce qui m’ai aidé, c’est que j’étais reconnu pour la danse dans les années 1960 grâce à l’influence de James Brown. Tout le monde voulait [être] James Brown! Les compagnies disque m’ont appelé pour dire « Écoute, lui il dansait dans le temps. Ce serait bon qu’il fasse un disque disco parce qu’il danse puis c’est justement qu’est-ce qui est dans le vent et qui est à la mode présentement. » Donc, ça m’a donné une chance de faire des disques en anglais à cette époque-là parce que c’est un tremplin qui est arrivé dans les 1976 à 1985. Un artiste québécois, francophone ou anglophone, pouvait faire un disque en anglais qui sortait mondialement. Donc, à ce moment-là, il y a eu Freddy James qui a sorti des disques mondialement depuis Montréal.
Géraldine Hunt, qui a sorti des disques mondialement. Lime, France Joly, Kat Mandhu, Gino Soccio, il y a tellement d’artistes de Montréal qui ont fait des disques anglais qui ont sorti mondialement faque ça nous a ouvert une plateforme de pouvoir aller performé dans toutes ces discothèques-là dans le monde. Des fois on nous appelait pour aller faire un lip-sync d’une discothèque à New York, à Chicago ou à Los Angeles. L’agent qui nous amener, il payait l’avion pour quatre jours, on faisait deux discothèques par soir puis ont revenaient à Montréal. C’est une mode qui [a] duré et peut-être – il y avait un réseau discothèque à ce moment-là – c’est quelque chose qui a duré deux ou trois ans, mais c’était fou! La limousine te ramassait à l’aéroport puis on était deux-trois qui faisait le tour des discothèques. Moi, je pensais qu’on était rendu des stars! Ça a duré deux ou trois ans. C’était une époque qui était pas mal le fun! On entrait dans la discothèque, on faisait notre succès sur les lip-syncs, la limousine nous amenait dans une autre discothèque parce qu’il fallait qu’ils se repayent les frais eux autres faque ils nous faisaient faire quatre jours de deux discothèques par soir, jeudi, vendredi, samedi, dimanche, on revenait à Montréal après ça. Faque c’était une époque qui donner une chance, pas seulement à moi, mais beaucoup d’artistes de s’éclater un peu partout mondialement.
Au final, un artiste québécois, francophone ou anglophone [voir] latino pouvait faire un disque en anglais et avoir une licence dans le monde entier.

Virginie Belony: Je me sens obligé de vous poser la question étant un peu plus jeune et inculte! Je veux vraiment savoir : c’était quoi le Limelight? Comment était l’ambiance?
Pierre Perpall: Wow, le Limelight c’était vraiment avant le studio 54 à Montréal, c’était la discothèque. Le monsieur qui a parti le Limelight était allé chercher les plus grosses lumières qu’il pouvait y avoir dans un cabaret. Parce qu’à l’époque, les cabarets, c’était un peu comme ici, on avait des lumières partout, partout, partout, partout.
Donc, le visuel frappe le monde. Et la mode puis la musique disco sont arrivées par les émissions de télévision. Tu voyais le monde s’habiller avec toutes sortes de couleurs qui étaient influentes pour la nouvelle génération […]
Puis là aussi ça aidé [au niveau du] multiculturalisme. Il y avait toutes sortes de nationalités […] au Limelight que ce soit des Chinois, Anglais, Latinos, Noirs, là ça se mixait! Aucun problème! Je peux vraiment dire que Woodstock, à partir de la courbe en 1969-1970, ç’a été de mieux en mieux [surtout] avec l’évolution musicale. La musique enlève les barrières raciales.
Virginie Belony: Est-ce qu’il y avait d’autres discothèques qui étaient aussi mythiques à cette époque-là à Montréal?
Pierre Perpall: Oui, il y avait beaucoup. Il y a eu l’Horizon, il y a eu plein de discothèques. À Montréal, il y avait au moins une trentaine de discothèques, si c’était pas plus, mais c’était le Limelight, le était numéro un. Il y avait trois étages au Limelight, puis en line-up pour rentrer. Puis, dépendamment de la manière dont tu étais habillé, c’était le deuxième étage ou le premier étage!
Virginie Belony: Mais à peu près à cette même époque-là, vous avez également changé votre nom d’artiste. Est-ce que vous pouvez nous en parler un peu. Le pourquoi et le comment.
Pierre Perpall: Le pourquoi c’est parce que mon nom, c’est Pierre Perpall, puis pour le disco, les compagnies de disques aux États-Unis puis en Angleterre qui sortaient mes disques, [trouvaient que] ça sonnait pas assez Américain. Alors, [ils ont décidé de m’appeler] : « Purple Flash, » puis c’est resté. Donc, aujourd’hui, si on veut mes chansons, on va sur internet [et on cherche] Purple Flash. On va retrouver les succès que j’ai fait dans tous ces pays-là. Je suis propriétaire de mes chansons. Thank God! Je dis [toujours] ça aux artistes. Soyez propriétaire de vos chansons!
Virginie Belony: Et vous, quand est-ce que ça vous est venu en tête justement, cette idée : « Okay, si je veux, par la suite, continuer à recevoir une certaine redevance sur mes titres …» quand est-ce ce que cette idée vous est venue en tête?: « Il faut que je sois propriétaire de tout ça »? Est-ce que c’est quelque chose qui est arrivé plus tard dans votre carrière ou dès le départ vous y aviez un peu pensé?

Pierre Perpall: Il y avait un artiste, il m’avait parlé de ça à 15 ans, mais ça m’est passé [par-dessus] la tête. Je me souviens plus qui [qui disait] : « si jamais tu fais des disques, arrange-toi pour être propriétaire de tes bandes. » C’est sûr que mes trois premiers disques, dix, je n’étais pas propriétaire de mes bandes parce que c’est les compagnies finançaient [le tout].
Mais quand j’ai compris le système, j’ai commencé à payer tous mes enregistrements et aujourd’hui, je suis propriétaire de tous mes enregistrements. Puis je reçois des redevances … Quand j’entends des artistes dirent « je me suis fait avoir par la compagnie de disques », ils ne sont pas faits avoir, ils n’ont pas été voir un avocat. C’est la même chose que quelqu’un qui se marie. Tu vas voir un notaire, un avocat. Des fois, j’entends un artiste [dire] « je me suis fait avoir, » non, tu t’es pas fait avoir, t’as pas été consulté. Donc, moi, quand j’ai su l’information, j’ai été consulté justement [pour savoir] comment ça fonctionnait. J’ai tout payé, mes enregistrements et j’en suis [aujourd’hui] propriétaire. Sur le coup, ça fait mal. Mais aujourd’hui, c’est un fonds de pension qui est assuré.
Virginie Belony: J’aimerais – parce qu’on est quand même à l’Afromusée [et] on parle beaucoup des communautés noires ici à Montréal – j’aimerais vous entendre nous parler de cet album appelé La Connexion Noire (1978). […] C’était entre vous et d’autres artistes noirs, ici à Montréal. Pouvez-vous nous parler un petit peu de l’idée derrière tout ça et un peu sur l’atmosphère autour de ce projet-là?
Pierre Perpall: Ça, c’est arrivé parce que les Noirs étaient vraiment rendus sur la sellette à cause de disco à Montréal. Il y a une compagnie disque qui a décidé de rassembler quatre artistes noirs qui avaient eu des succès.
Moi, j’avais eu un succès, Boule Noire avait eu un succès. Géraldine Hunt avait eu un succès … La compagnie de disques a décidé d’appeler ça La Connexion Noire et ils nous ont pris, quatre Noirs ensemble, pour faire un album qui s’appelait La Connexion Noire qui est aujourd’hui [considéré comme un] vintage. Si quelqu’un a encore des albums, garder-les, c’est précieux!
Pierre Perpall et le groupe Bagowa, 1977. Collection personnelle Pierre Perpall.
Virginie Belony: Donc, est-ce que c’était quelque chose avant ça, qui était rare de voir des artistes noirs ici à Montréal?
Pierre Perpall: Le seul artiste noir que j’avais vu avant moi, c’était Flo de Parker. C’est la première chanteuse noire à Montréal qui a fait un disque en français avec Jean Pierre Coallier [vers] 1962-1963 puis je n’ai plus entendu parler après de Flo de Parker [après]. Et, le premier acteur noir en français – on parle toujours partout en anglais – c’était… Percy Rodriguez! C’est le premier Noir que j’ai vu en [parler en] français. Ça m’avait ébloui! J’avais 6-7 ans, puis je vois un noir parlé français à la télévision! Il n’y en avait pas, c’était [toujours] en anglais, puis en français, il y avait juste des blancs. T’en voyais pas! J’avais vraiment été frappé, après ça, j’ai plus entendu parler de Percy Rodriguez jusqu’à l’émission Star Trek. Après ça, il y a été une grande vedette aux États-Unis dans toutes sortes de films à Hollywood. Il est décédé aujourd’hui, ses enfants sont encore en vie aujourd’hui, ils demeurent à Brossard.
PARTIE III
Virginie Belony: Ça m’amène à une question. Parce que le vous savez, moi, j’étudie en histoire, du coup, tout ce qui est en rapport avec l’histoire, ça m’intéresse énormément! À partir de quand est-ce qu’à votre avis, ici à Montréal, on a arrêté de faire cette association entre « noir égal anglophone » et qu’on a commencé à se dire : « noir, ça peut aussi vouloir dire francophone? » Est-ce que vous pouvez un peu nous situer?
Pierre Perpall: Moi, je crois qu’à partir de Woodstock, ça s’est fait tranquillement parce que la barrière s’est ouverte après ça. …Il y a Skipper Dear qui est avec nous, mais je crois que vous l’avez déjà eu en entrevue. Croyez-vous qu’il pourrait venir dire quelques mots?
Guy Mushagalusa: Oui, je pensais même à lui exactement.
[…]
Pierre Perpall: Skipper était avec moi. On est un des deux premiers chanteurs à faire de la musique qui a pu duré longtemps parce que Skipper Dean, avec la classe qu’il y a, et son talent a, réussi à demeurer dans le métier aussi longtemps que moi … La première fois que je l’ai vue chanter, j’étais vraiment impressionné. Même aujourd’hui, je le regarde et il est toujours respectueux de son public.
Skipper Dean : Je ne sais pas quoi dire. Haha. … Quand j’ai commencé, je savais que je ne serais jamais chanteur. C’était la dernière chose à laquelle je pensais. Mon frère Dennis, c’était le chanteur, on chantait tous et il avait un groupe qui s’appelait The Senators. La façon dont j’ai commencé, c’est que, quelqu’un m’a appelé un jour et, [il a] appelé la maison et a dit, euh, « est-ce que je peux parler à Skipper Dean ? » Et j’ai répondu que je pouvais parler. Il m’a dit, « nous aimerions que tu viennes faire un essai avec notre groupe. »
Et j’ai dit, « non, non, vous cherchez mon frère. C’est le chanteur.» «[Et eux m’ont dit] Non, non, non, non. C’est toi le chanteur.» [Et moi j’ai dit] « Non, je chante avec lui ! Vous savez, au magasin de disques, nous chantions en cœur, comme accompagnateurs ! » Moi et mes amis du quartier, nous connaissions toutes les chansons. Il n’y avait pas de télévision, seulement la radio, et donc nous connaissions toutes les chansons [populaires à l’époque], donc tout le monde pouvait chanter.
Du coup, je ne me considérais pas comme un chanteur. Quoi qu’il en soit, il m’a dit : « Pourquoi tu ne viendrais pas faire un essai ? » J’ai dit d’accord. Alors j’y suis allé. Je connaissais toutes les chansons parce que nous chantions toutes les chansons dans les tonalités des disques de l’époque. Je n’ai pas réalisé que deux heures s’étaient écoulées et qu’ils s’étaient arrêtés. Et j’ai dit, eh bien merci! C’était amusant!
Et ils m’ont dit, euh, « Alors vous revenez la semaine prochaine ? » J’ai dit, « Vous voulez que je revienne ? » Et ils ont dit, oui. C’est là que ça a commencé. Je considère que c’est mon premier concert! Et puis j’ai rejoint un groupe qui s’appelait, euh…
Pierre Perpall: C’était en quelle année?

Skipper Dean : 1965. Quelque part par là. Et peut-être même 1964. J’ai rejoint un groupe appelé The Fascinations. Ils s’appelaient d’abord The Presidents, et nous ne faisions que les bals du lycée et, vous savez, Le Manoir, le 217.
Pierre Perpall: Oh, vous êtes allés au 217?
Skipper Dean : Oh oui ! J’ai fait ça et aussi les quartiers chics. C’était [à] Montréal-Nord… Je pense que pour moi, ce que j’ai réalisé, quand je chantais, c’était que…ce n’était pas facile! Vous savez, tout le monde essayait de chanter comme [sur] le disque. Ce n’était pas facile. Et au bout d’un moment, je me suis dit que je ne pouvais pas essayer de ressembler à tout le monde, alors je vais juste chanter ce que je ressens par rapport à une chanson. […] Mon approche était, je m’inquiétais jusqu’à ce qu’ils disent [voici] Skipper Dean. Et une fois qu’ils avaient dit ça, tout est parfait, je sortais et, euh, il ne s’agissait plus de moi. Il s’agit du…
Pierre Perpall: Du public!
Skipper Dean : [Oui] Le public. Et les vêtements! À l’époque, nous allions sur Saint-Laurent et Sainte-Catherine. Il y avait de petits magasins là-bas, mais ils avaient les vêtements les plus tape-à-l’œil. Mais on pouvait se procurer un ensemble pour 10 $. Et pour 5 $ de plus, on pouvait acheter des chaussures dans la rue. C’est comme ça qu’on a commencé le groupe…
Pierre Perpall : Quel est l’endroit dont tu te souviens le plus ? Qu’est-ce qui t’as le plus marqué ?
Skipper Dean : Euh, je dirais le Harlem Paradise. Le Harlem Paradise. L’endroit où j’ai commencé. […] parce que c’est là que j’ai vraiment commencé à travailler dans les salles de danse. Et de là, nous avons travaillé au Café de l’Est, nous avons travaillé au Café du Nord. C’était [une sorte de]lChitlin’ Circuit pour nous, tu sais… Et le public. Ils ont toujours été très, très gentils avec moi et nos groupes! C’est tout.
Pierre Perpall : Avec la musique, on franchit les barrières.
Louis Rastelli : C’est vraiment super. Vous savez, nous allons certainement mettre Harlem Paradise sur la carte ici.
…
Pierre Perpall : Ce que j’aimais — et ce n’est plus le cas aujourd’hui — c’est que, à l’époque, on pouvait voir le groupe de près, et tous les musiciens montréalais pouvaient profiter de leur talent et de la façon de jouer un coup de guitare de ce guitariste-là et cette passe de batterie-ci, et tout ça… On ne peut plus avoir ça aujourd’hui! C’est un peu triste pour la nouvelle génération […] ils voient grands concerts de loin, ils ne peuvent pas faire surgir l’énergie du musicien tout proche.
C’est tellement triste. C’est triste. Et ça, comme tu le disais, 300 clubs à Montréal. Six ou sept jours par semaine. Alors, imaginez quand tout le monde allait voir les groupes de si près. Oui! Combien de bons musiciens sont nés de cette énergie-là ?
Skipper Dean : Le 217 était comme ça.
Pierre Perpall : Exactement!
Skipper Dean : Toutes les salles de danse étaient juste là. Voici la scène. Ils [les musiciens] étaient juste là.
Pierre Perpall : Oui. Je me souviens que je regardais Little Richard. Il jouait du piano. J’étais là la semaine après BB King. Tu es proche comme ça. Tous ces grands noms. C’était incroyable. Oui, moi, Billy. Billy, tu te souviens de Billy Stewart ? […] Si proche, on pourrait sentir l’énergie!
C’est vrai. Le talent est bien aujourd’hui, mais on ne peut pas obtenir cette magie!

Skipper Dean : Non. Et à l’Esquire [Show Bar], la scène était à l’intérieur du bar. Tu avais donc un bar en fer à cheval et tu pouvais, tu [étais] presque sur [la] scène.
Pierre Perpall : Oui. Mais c’était l’époque, comme on dit, c’était l’époque, comme on dit!
Skipper Dean : Oui. Et à l’époque, tous les groupes allaient voir les [spectacles], quand ils ne travaillaient pas, ils étaient dans le public. Ils étaient dans le public. Tu sais, cela inclut nous aussi! Ils étaient dans le public.
Louis Rastelli : S’il y a des questions ou quoi que ce soit d’autre, nous pouvons…
[Bavardage]
Question du public : Comment pouvons-nous, en tant qu’artistes, conserver l’esprit réel que nous possédons…
Pierre Perpall : Es-tu musicien ? Est-ce que tu travailles dans suffisamment d’endroits et est-ce que tu vois beaucoup de musiciens ?
Pierre Perpall : D’accord… Plus tu vois de musiciens jouer en direct, plus l’énergie continue de rouler et plus ça travaille [en toi]. Mais ce qu’on trouve ici à Montréal aujourd’hui, c’est qu’il n’y a pas assez de musique pour qu’un jeune musicien puisse [s’inspirer et s’élancer]. Je ne sais pas si tu comprends ce que je veux dire? Il n’y a pas assez d’endroits [contrairement] à notre époque où il y avait tellement d’endroits où tu pouvais sortir tous les soirs et voir un groupe différent.
L’énergie, c’était l’entraide entre les gars. [On se disait] « Hé, va voir ce type. Va voir ce type. …»
Skipper Dean : …Et euh, tu dois te rappeler qu’une fois que tu commences à te produire [en spectacle], il ne s’agit plus de toi. Il s’agit d’eux [le public]. D’accord ? Alors, laisse ton ego, tu sais ce qu’est l’ego, n’est-ce pas ? Laisse-le dans la loge, sors et sois toi-même! Sors et fais-toi des amis. C’est ce que j’essaie de faire. Je me fiche de la journée que j’ai eue. Une fois qu’ils disent « Skippepr Dean », je sors et je dis, « Hey, je suis content de te voir et moi » et je le pense vraiment et je chante ce que je ressens et, euh, tu sais. J’écoute tout le monde, mais j’ai grandi en aimant le soul. Mais j’aime aussi Johnny Mathis. Frank Sinatra, tu sais, et je, j’ai appris que, euh, si je dois chanter une chanson, je ne suis pas Johnny Mathis. Alors je sors, je peux sonner quelque chose comme ça.
Skipper Dean (chantant) : « Chances are cuz I wear a silly grin. The moment you come into view », je ne fais pas, tu sais [intonations avec la voix] « Chances are cuz I wear a silly grin the moment you come interview ». Ce n’était pas mon domaine, c’était le sien [celui de Johnny Mathis]. Je dois l’interpréter. Tu interprètes ta musique et tu le prouves aux gens, mais tu n’en fais pas tout un plat.
Donne-toi la permission d’être toi-même, c’est ça le secret!
